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Entretien avec Jean-Philippe Fritz, expert métier chez WorldSkills



Le propre de l’organisation des WorldSkills, c’est de faire accompagner chacun des candidats par des experts métiers. Professionnels reconnus, expérimentés et avec l’envie de transmettre leurs compétences, les experts métiers sont là pour entrainer, superviser et suivre l’organisation de la compétition WorldSkills.


Véritable soutien, l’expert métier a une place capitale au sein de l’équipe du candidat. Pendant toute sa préparation et sa compétition, Emeric Labat, candidat en Art Floral à la finale mondiale cette année, a pu compter sur sa coach, Stéphanie Cervo, et son expert métier, Jean-Philippe Fritz.


Jean-Philippe Fritz, expert métier chez WorldSkills a accepté de répondre à nos questions, de son rôle d'expert métier aux conseils qu'il souhaite donner aux futures générations.


En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer votre rôle d’expert au sein des compétitions WorldSkills ?


Le rôle de l’expert va changer à partir de l’année prochaine. Il y aura en France, trois experts métiers différents : un expert national, un expert européen et un expert mondial. Ce n’était pas le cas avant. L’expert s’occupait seulement du concours national et mondial. Au niveau national, il s’occupe notamment de l’organisation du concours, de la création de l’équipe des métiers, de la prise de contact avec les fournisseurs, de la mise en place du site de compétition, de la coordination de la compétition, du déroulé de la notation.


Ensuite, l’expert prend les trois premiers médaillés et il les coache pour décider de prendre le premier ou le second pour la compétition mondiale. A partir de là, il créée son équipe métier qui va travailler avec le candidat. Il faut lui donner les meilleurs outils possibles pour partir à la compétition.

Ce ne sera plus le cas dès la prochaine édition car l’expert national aura délivré son poulain à l’expert européen ou mondial. Ils resteront en relation mais ce ne sera plus le même travail.


Je prends définitivement ma retraite des compétitions et concours. Je m’occupe des WorldSkills en tant que juré régional et national depuis 1985 et j’ai été promu expert national en 2012. Cela fait donc plus de 30 ans et je pense qu’à un moment donné il faut donner sa place aux plus jeunes.


Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir expert métier et à suivre de jeunes artisans fleuristes pendant leur préparation aux concours ? Qu’attendiez-vous de cette expérience ?


Je suis dans le métier depuis 1975. J’ai eu la chance d’avoir des parents avec une entreprise horticole et floristique. Après mes premiers concours, j’ai été appelé par l’école pour donner des cours aux jeunes. Cela m’a permis de me confronter à l’enseignement et, par la suite, j’ai candidaté pour être juré régional. Dès lors que le moustique WorldSkills vous a piqué une fois, vous êtes piqué à vie.

C’est tellement prenant. C’est un mouvement continu que vous ne pouvez pas vous arrêter. Ça a continué comme ça. Je suis devenu juré national et j’ai posé ma candidature pour devenir expert métier.


Selon vous, quelles sont les principales qualités à avoir pour réussir dans la compétition WorldSkills ?


Il faut être à 100% en osmose avec son expert : le comprendre, lui faire une totale confiance sur tous les sujets possibles et inimaginable. Chaque fleuriste a sa patte et sa façon d’opérer sur certains process techniques. Si l’expert lui demande pendant le concours de changer la vapeur, il doit être capable de la changer instinctivement et à la seconde près. Il doit basculer et partir dans une autre direction. C’est une capacité que peu de jeunes ont au départ et qu’il faut vraiment travailler.


L’autre chose, c’est que le jeune doit être dans une bulle pour le concours. A partir du moment où le gong a sonné, le jeune n’est plus du tout dans la salle pour les autres, il est dans son monde et dans son concours. Plus rien ne le perturbe. C’est très difficile à travailler en amont.


Physiquement, il doit être également costaud. C’est la raison pour laquelle dans les différentes préparations physiques et mentales, il y a du sport, de l’entente… Lorsque l’on concourt avec 20 ou 22 heures d’épreuves qui s’enchaînent, les deux derniers jours ne sont pas faciles. Il faut donc quelqu’un qui ait une détermination et une volonté de faire importantes, et jamais de découragement. Il y a une notion de force et de surpassement. Soit on est un compétiteur WorldSkills soit on ne l’est pas.


Vous avez accompagné et supervisé Emeric Labat, médaillé de bronze lors de la dernière finale internationale des WorldSkills, comment décririez-vous son travail ?


Il y a 12 mois, Emeric était un garçon qui sortait d’une entreprise dont le patron est un Meilleur Ouvrier de France. Il est donc sorti d’un bel apprentissage. Bien sûr, Emeric s’est imprégné de son style, de sa façon de faire et de ses manières techniques. Il était très important pour moi de le sortir de ce formatage. Ce qui est difficile car un jeune avec un mentor dans ses formateurs va souvent s’accrocher à l’apprentissage reçu. C’est logique. Pendant quelques mois, j’ai été obligé de le sortir de cette zone de confort. Il reproduisait parfaitement ce qu’il avait appris précédemment mais il fallait qu’il puisse travailler des choses par rapport à un sujet donné sur le moment. On a été obligés de repenser certaines choses, de le sortir de ce formatage et de donner à l’ensemble des pièces qu’il faisait le nom d’Emeric Labat.


Emeric est un garçon intelligent, qui comprend vite. Même si ça a pu parfois être difficile pour lui, il a très vite compris que pour un concours international, il fallait qu’il amène sa patte. Ça s’est très bien passé. L’accompagnement avec Emeric a très bien fonctionné. Il y a eu beaucoup de plaisir dans ce travail.


Emeric est toujours à la recherche de la forme et des équilibres. Il essaye toujours d’avoir une pureté dans la ligne. En un coup d’œil, il sait comment placer ses éléments pour trouver le meilleur design. C’est un véritable designer qui travaille avec de la souplesse, de l’agilité, un sens de l’équilibre et de la transparence.


Quel est votre ressenti par rapport à sa troisième place ?


Je peux vous assurer que, sur cette compétition et sur les 14 candidats, Emeric a été le meilleur candidat fleuriste. Sur 14 experts, 9 sont venus me voir en me disant « ton candidat est extraordinaire, c’est le meilleur sur tout le concours ». Malheureusement, il y a des notes qui n’ont pas suivi, notamment de la part de 3 experts. Mais nous, on a toujours validé le maximum de points.


Pour moi, Emeric est le champion du monde. C’étaient les plus beaux sujets. Il y avait de la transparence, des couleurs et de l’esprit. On sentait le créateur, ce n’était pas du manufacturé. Il a fait de l’art, et pas des choses trop scolaires. Il a imposé un style, une façon de faire et une envolée qu’il était le seul à avoir à mes yeux.


Chez WorldSkills International, et en fleuristerie, il y a un système de notation appelé CIS sur une base de questionnements. Pour la partie technique, il faut répondre par oui ou par non. Sur la partie subjective, les jurés attribuent de 0 à 4 points. En fonction des questions posées, vous pouvez être un super fleuriste mais, si vous ne répondez pas à certaines questions basiques, vous pouvez perdre des points précieux. C’est ce qui est arrivé à Emeric.


Je suis quand même très fier de son podium et de sa troisième place au niveau international.


Quel est le message que vous voulez faire passer aux jeunes artisans fleuristes qui hésitent encore à se lancer dans les concours ?


Pour moi, le seul message à donner aux jeunes, c’est de se lancer au plus vite. Ce sont des concours très formateurs, c’est là où ils vont apprendre à connaitre les autres mais surtout à se connaitre, à s’évaluer et à évoluer d’une façon très rapide. Chaque concours est une étape dans l’évolution du jeune et dans sa façon de grandir dans le métier. Performer et se mesurer aux autres permet de ressentir à quel niveau on est.


C’est le meilleur message que l’on puisse donner, formez-vous, faites des concours, allez le plus loin possible !


Il n’y a qu’une seule chose : c’est la persévérance, l’exercice, refaire et contrefaire sans arrêt pour pouvoir arriver à ce mot parfois présomptueux : l’excellence. On n’y arrive jamais car il y aura toujours quelqu’un au-dessus de nous mais s’en rapprocher, c’est extrêmement important.


Un dernier mot pour la fin ?


Je voudrais remercier l’équipe WorldSkills avec sa présidente et toutes les personnes qui l’entourent pour tout le travail qu’ils font pour ces jeunes. C’est un travail extraordinaire et il faut aussi remercier les experts de tous les métiers. On est une famille, un groupe qui s’entraide. Je remercie aussi les experts qui étaient en Finlande pour leur aide, ainsi que les trois jeunes qui étaient là-bas pour la coiffure, la mode et création et l’esthétique. Remercier notre délégué technique, José Fonseca, qui nous a accompagné et soutenu. On a passé une semaine extraordinaire avec lui, remplie de bienveillance. Quand on revient, on voit qu’on est soutenus. La France est derrière nous.


A suivre prochainement, l'interview d'Emeric Labat, médaillé de bronze à la finale internationale WorldSkills.


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